12 mars 2017 Promenade avec Iga

, par Jean-Paul

L’approche du printemps

C’est dimanche. Dans quelques jours le printemps effacera la saison hivernale ; la température demeure encore fraîche, quelques nuages encombrent le ciel mais la pluie n’est pas prévue pour aujourd’hui. Jean-Paul est venu avec son licol me chercher au pré pendant que Bernard sortait la calèche. Ces préparatifs je les connais : les jeudis pour ma sortie hebdomadaire avec les centres d’handicapés de la Charmelière à Carquefou où celui des Touches avec les accompagnatrices Marylène, Isabelle, Pauline, Sylvie, appréciées de mes deux cochers je le vois bien. Une sortie un dimanche c’est exceptionnel. Après mon pansage à l’étrille et la brosse, Jean-Paul me frotte la crinière et le haut de la queue avec un produit pour limiter les effets de la dermite estivale.

J’aperçois des invités. Ah oui , mais je les connais : voilà Béatrice et Francis connus de longue date puis Joëlle et Richard, lui c’est le fils de Cszésia celle qui parlait polonais, ma langue d’origine ; voilà Nicole et André le raconteur de blagues, il en a toujours une dernière mais je l’ai, je crois , déjà entendue ; arrive maintenant Christine et Jean-Marc avec son rire éclatant ; ils vont bien se marrer. La dernière c’est la présidente, Sylvie la présidente de cette association qui marche « Sur les Pas d’Iga ». Elle vient me faire une caresse. J’apprécie. Ah j’oubliais il y a les compagnes de mes deux cochers : Jacqueline et Colette. Je suis un peu jalouse parce que je pensais que j’étais seule leur préférée !!! Que du beau monde qui va m’accompagner aujourd’hui. J’ai intérêt d’être à la hauteur ! Avant de partir je déguste mes granulés, je les apprécie maintenant avec quelques tartines de pain sec. Mes futurs compagnons palabrent en sirotant leur café et croquent aussi quelques gâteaux secs.

Ah voilà nous partons, seul Bernard tient les rênes. Avec mes 22 ans j’ai besoin de m’échauffer, c’est comme le diesel et pourtant je n’ai qu’un moteur à crottins dit-on . L’allure est lente, les joyeux invités suivent tranquillement. Au bout d’un km, à l’embranchement de la route du Verger et de la Cathelinière, je retrouve mon rythme. En traversant le village du Verger je vois bien que derrière le peloton s’étire, dans la descente vers l’île aux pies, le reculement de mon harnais sert de frein. Avant je trottais et galopais à cet endroit … Ai-je peur ? Je n’ose pas, c’est sans doute à cause de mon arthrose dit Bernard. Dans la montée qui succède je me rattrape et pars au galop ; mes compagnons n’en reviennent pas et je suis obligée d’attendre les marcheurs. De temps en temps je m’arrête, je broute l’herbe sur le bord des fossés le long de la route. J’ai le temps d’admirer la belle campagne au printemps : les petits chatons des noisetiers semblent nous encourager en se balançant comme des lanternes sous l’effet de la petite brise. Les bourgeons des saules éclatent en annonçant cette nouvelle saison. Les fleurs de pissenlits s’ouvrent avec le soleil et nous livrent un chemin de fleurs jaunes près du bitume où résonnent mes fers. Dans les haies, les épines noires nous honorent de leurs éphémères petites fleurs blanches.

Je m’arrête, je repars car les marcheurs n’arrivent plus à me suivre. Pendant que je broute l’herbe en haut du chemin de la Louinière je me revois ainsi il y a maintenant 12 ans sur les routes et chemins polonais, tchèques, allemands, luxembourgeois et français : je revois mon départ de Bychawa sous la pluie. Darjust me conduisait et ils étaient nombreux pour m’encourager : Danuta et Jan, les amis des chapelains de longue date, les membres du comité avec Arthur, Sobazteiz Andréa le maire avec aussi les 14 marcheurs français. La traversée de la Pologne, c’était la fête tous les jours sauf à Ciasna en Pologne où il a fallu changer mes fers. Une véritable torture m’a dit Jean-Paul et pour moi donc !!! Je revois beaucoup d’images de cette Marche au Cœur de l’Europe, où mes accompagnateurs ont vécu tout au long de ce périple une grande fraternité comme le souhaitait déjà Victor Hugo il y a plus de 150 ans . Il paraît que ma présence a ouvert beaucoup de portes et de cœurs.

Depuis quelque temps j’entends parler mes deux cochers, avec une certaine crainte en cette période électorale .Les discours de Celle qui voudrait fermer les frontières, ériger à nouveau des murs, ces propos repris dans d’autres pays européens les inquiètent visiblement. Sans réactions devrais-je donc retourner dans mon pays natal ?